Filliou-ci, Filliou-là

J'ai rencontré Chantal et Serge Paternoster à Brussels. Tout de suite, nous avons partagé une même approche paradoxale de l'art, ouverte et exigeante, amusée et sincère, libre et engagée... Toujours à Brussels, j'ai découvert plus tard leur collection, du moins une partie, dans cette intéressante exposition Private Choices, réalisée par La Centrale. Leur collection a confirmé notre première discussion. Les Paternoster sont des collectionneurs authentiques, si on entend par collectionner des oeuvres d'art le fait de s'engager, de choisir et réunir des oeuvres qui nous permettent de développer une pensée. Que nous partageons ou pas, selon nos propres priorités, nécessités, désirs. Mais qui toujours alimente notre propre vision de l'art, notre propre réflexion et nos convictions. Nous savons que nous sommes face à une collection importante dès lors que cette collection définit un univers puissant, où chaque oeuvre trouve dans l'ensemble les conditions de son plein épanouissement (car il n'est pas rare, a contrario, de découvrir des oeuvres dont l'environnement nuit à leur visibilité, leur sensibilité et leur compréhension). Un univers singulier, dont le nombre ni l'éclectisme ne nuisent à la cohérence, où la multiplicité enrichit la collection sans en affaiblir l'originalité.


Je ne sais comment l'idée de faire une exposition d'une partie de la collection R. Patt (de Chantal et Serge) est apparue. Mais elle m'a immédiatement séduite. Et d'abord parce que j'y voyais l'occasion de partager cette approche de l'art : non seulement une connaissance et une vision, mais aussi une pratique. Une pratique qui fonde des attitudes, des exigences, un rapport au monde.

La proposition d'exposer leur collection de multiples - et une pièce unique...- de Robert Filliou ne pouvait donc que me réjouir.

Robert Filliou fait partie de cette bande disséminée d'électrons libres qui traversent en permanence, et à des vitesses inaccessibles, le champs de l'art... Leur rire brise l'atmosphère quand elle devient trop pesamment sérieuse, leur sérieux raisonne dès que l'art est dévoyé à la simple fonction de distraction. La modestie de leurs propositions s'amuse sans regret de la pompe grandiloquente des projets monumentaux. La puissance de leur poésie balaye les verbiages qui entourent les oeuvres trop prosaïques.

Robert Filliou est un poète qui ouvre le langage à de nouveaux possibles, de nouvelles invitations. Robert Filliou est un plasticien aux mains duquel planches de bois, fauteuil de camping, miroir, deviennent des objets qui redéfinissent la notion d'oeuvre. Robert Filliou est un artiste qui crée toujours dans le sens de plus grande liberté. Il substitue au vide (de sens ?) la vie, par un jeu de mot ; il conçoit une indéfectible formule de l'art et l'énonce avec une grâce éthérée ; son coup de dé abolit le hasard en convoquant un éternel retour qui renvoie à l'unicité non du monde (son oeuvre nie cette unicité) mais de chaque chose, chaque être, chaque action, chaque lancer.

Son étoile lancée infiniment au centre de notre maintenant n'en finit pas de briller.

Mona Stayrs